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Philippe BÉRINGUIER,
Maître de Conférences en Géographie, membre du laboratoire GEODE – UMR 5602 CNRS Université Toulouse II – Jean Jaurès
Bertrand DESAILLY,
Maître de Conférences en Géographie, membre du laboratoire GEODE – UMR 5602 CNRS Université Toulouse II – Jean Jaurès
Philippe VALETTE,
Maître de Conférences en Géographie, membre du laboratoire GEODE – UMR 5602 CNRS Université Toulouse II – Jean Jaurès
Le titre pourrait presque passer pour provocateur. Toulouse n’est-elle pas la seule grande ville française à être dotée d’un surnom évoquant un attribut du paysage bâti ? Le risque étant de surjouer la partition, comme ce fut le cas au tournant du XXIe siècle, où tout nouveau collectif se devait d’arborer un décor de briquettes et où l’asphalte rouge envahissait les trottoirs. Le respect de la couleur locale peut conduire au conformisme et il est heureux que les palettes soient à présent plus diversifiées.
Oublions le rose et la brique et prenons un peu de hauteur. Du sommet de Pech David ou de Jolimont, ce sont bien plutôt les imposantes constructions des Trente Glorieuses, résidence Cristal, barres d’immeubles du boulevard des Minimes ou de la rue de la Digue, qui s’imposent comme les principaux repères visuels au sein d’une topographie peu marquée. Hors du centre, le regard ne croise guère que les formes banales de la grande ville, lotissements partant à l’assaut des coteaux ou entrepôts s’égrenant le long des radiales.
Paysages vitrines, paysages ordinaires
Il y a pourtant des enjeux importants autour de l’affirmation d’une identité paysagère métropolitaine, à commencer par une visibilité extérieure, que tout acteur politique local espère transformer en attractivité. Pour trouver une large audience, le message doit jouer sur plusieurs registres. Au fleuve et à ses quais du XVIIIe siècle de rappeler la richesse patrimoniale, quand les bâtiments d’Aéroconstellation sont chargés de signifier dynamisme économique. Rompant avec les architectures traditionnelles et empruntant les codes des écoquartiers nord-européens — formes cubiques, panneaux en bois, couleurs acides —, Andromède, Vidailhan ou les immeubles les plus récents de Borderouge renvoient l’image d’une ville inscrite dans la transition environnementale.
Toulouse, BorderougeSans doute, la majeure partie de la population métropolitaine ne côtoie pas l’essentiel du temps ces paysages vitrines, mais d’autres, bien plus ordinaires, ceux de l’habitat, des déplacements domicile-travail, des zones d’activités. D’autres identités paysagères se forgent alors, d’échelle inframétropolitaine, celles du faubourg, du lotissement, du vieux centre villageois absorbé par l’étalement urbain. Identités porteuses d’attachement et méritant à ce titre qu’on y prête attention. L’ordinaire et la vitrine gagneraient à se rapprocher. Prenons l’exemple des paysages de l’eau. Toulouse a la chance d’être traversée non seulement par un fleuve, mais aussi par des canaux et quelques rivières modestes. Les efforts concentrés sur l’axe garonnais mériteraient d’être poursuivis au niveau des nœuds et maillons secondaires, trop souvent phagocytés par les voies de circulation, tel le port de l’Embouchure, ou portant les stigmates d’une époque où aménager un cours d’eau impliquait un recalibrage brutal, comme le morne fossé de l’Hers.
Fragments d’histoire
Les paysages de la ville de Toulouse s’inscrivent dans une géohistoire de plus de 2000 ans. Chaque période a inscrit durablement des traces, plus ou moins visibles, dans les paysages, traces participant aussi à la construction d’une identité.
La ville romaine se développe d’abord sur la rive droite à l’abri des inondations. Peu de marques, mis à part des éléments liés à la voirie, sont conservées en l’état dans les paysages, de sorte que le patrimoine de Tolosa Palladia est « perdu », même si le musée Saint-Raymond tente d’en retrouver le fil.
À l’époque médiévale, plusieurs excroissances se développent hors de l’enveloppe antique autour de Saint-Michel, Saint-Étienne, Saint — Aubin et surtout de Saint-Cyprien et Saint-Sernin qui est englobé dans de nouveaux remparts. S’il ne reste presque rien de la ville romaine, la basilique Saint-Sernin, classée au patrimoine mondial par l’UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacquesde — Compostelle, représente un édifice unique en France. À cette époque, sur la Garonne, les moulins se multiplient, mais il n’en reste aujourd’hui que la trace du Bazacle.
La période moderne marque plus fortement le paysage de la ville, à travers la construction d’hôtels particuliers comme celui d’Assézat ou ceux de la rue de la Dalbade. En 1681, le canal du Midi fait entrer Toulouse dans le concert commercial national. Lui aussi est aujourd’hui classé au patrimoine mondial par l’UNESCO, mais l’honnêteté conduit à dire que sa partie toulousaine a été particulièrement maltraitée par l’urbanisation. Cette période voit aussi la construction du Pont-Neuf, l’embellissement des quais de la Garonne, la création de parcs et jardins.
Jusqu’au XIXe siècle et même jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la Garonne et sa zone inondable limitent l’urbanisation, même si un parc d’hygiène et des sports est créé sur l’île du Ramier dans l’entredeux — guerres. En 1945, Toulouse fait encore figure de ville moyenne et ce n’est qu’à partir des années 1955 qu’elle s’étale largement à la fois en zone inondable, sur les coteaux et les terrasses alluviales, pour concerner désormais l’ensemble des communes périphériques.
Paysages et appartenance
À côté des hauts-lieux et motifs repères de la métropole toulousaine s’élaborent aussi, dans les relations que tissent les individus à leurs paysages, un sentiment d’appartenance. Toutefois, dans une société toujours plus mobile où les territorialités sont labiles, l’identification des registres et supports matériels d’un tel sentiment est un exercice délicat. Signes et repères relèvent avant tout des expériences individuelles et changent dans le temps. S’il s’avère périlleux de conclure à des catégories partagées et permanentes, il reste possible d’évoquer quelques facteurs de ce processus :
- l’ancrage dans les paysages du quotidien en est un. L’espace du quartier, du pavillon et de son jardin, les pratiques habitantes associées suscitent à la fois investissement et reconnaissance. La fréquentation régulière des petites centralités, organisées autour de places, de monuments ou de bâtiments emblématiques, du marché de plein vent hebdomadaire, sont autant d’expériences répétées dans le temps qui participent à la construction du vivre ensemble.
- le contact avec la nature fortifie le sentiment d’appartenance en renouvelant et enrichissant les expériences sensibles. Il est favorisé par la mise en réseau des itinéraires de promenade, pédestre ou cycliste. Leur fréquentation assidue témoigne de l’attractivité des paysages associés : vallons des serres et collines de l’Est toulousain, coulées vertes du Touch et de l’Aussonelle, ramiers de Garonne.
- les actions et sollicitations conduisant les habitants à s’informer, s’investir, se mobiliser en tant qu’acteurs des paysages jouent aussi un rôle important. Citons les Agendas 21 ou encore les implications citoyennes à propos des jardins collectifs ou de l’habitat participatif.
Sans grand récit ni armature paysagère majeure à l’échelle métropolitaine, d’autres paysages, un peu plus éloignés, participent aussi à la construction d’une identité. Aux marges de la ville, les massifs forestiers de Bouconne et de Buzet, ou encore les hauteurs des derniers coteaux du Lauragais dominant Ariège et Garonne sont des terrains d’évasion prisés des Toulousains. Sans parler du lointain horizon pyrénéen, qui ne cesse de rejaillir telle une image familière.
Photos © B. Desailly – Carte © Ph. Valette
Contenu additionnel :
Observatoire des paysages de Garonne : un outil d’observation de l’évolution des paysages garonnais. Philippe Valette et Philippe Béringuier, Maîtres de Conférences Université Toulouse Jean Jaurès :